2 avril 2024 – Visite de l’aqueduc du pont du Gard

Le mardi 2 avril à 14 h 30

Balade sur le parcours de l’aqueduc du Pont du Gard de Vers au Gardon en passant par de nombreux vestiges : arches, ponts, concrétions…

Balade proposée par Gilles qui nous guidera.

Rendez-vous à 14 h salle polyvalente d’Arpaillargues pour covoiturage, ou 14h30 au bout du chemin des Crozes à Vers-Pont-du-Gard

 

Ça c'est bien passé

Les arches de Valive

Tout le monde connait le Pont du Gard mais peu de personnes connaissent le long tracé de l’aqueduc. Nous avions en 2015 (il y a près de 10 ans déjà) suivi les traces de cet étonnant édifice et les commentaires savoureux de Clément Martin mais de nombreux zébriniens anciens et nouveaux n’y avaient pas participé. C’est ainsi que 18 personnes se sont aventurées sur le chemin des « vestiges romains » après avoir stationné chemin des Crozes à Vers-Pont-du-Gard en compagnie de Gilles Demuth notre guide du jour.

 

 

 

Gilles, notre guide

Le guide

Gilles est installé avec Martine à Arpaillargues dans le quartier de Fontèze depuis plusieurs années. Professeur d’Histoire, il s’est vite passionné pour l’histoire « locale ». C’est lui qui nous a conduit près d’Anduze sur le chemin des dolmens de Pallières. Comme il est aussi président de l’Association In situ, il nous a accueilli au Jardin médiéval et présenté l’histoire des bâtiments l’an passé.

 

Le parcours

Aquarelle de J-M Gassend

Nous allons suivre les vestiges des parties aériennes de l’aqueduc.
Sur 50 km d’Uzès à Nîmes, on a 46 km de canalisation semi-enterrée, à peine 600 m de tunnel (les deux tunnels de Sernhac + un long tunnel de 400 m avant d’arriver au castellum). Il y a donc 3,5 km d’ouvrages aériens : les arches de la Lône, le pont de Font-Ménestière, le Pont-Roupt, les arches de Valive, le Pont du Gard, le pont de la combe de Valmale, le pont de la Combe Roussière.
Nous allons nous arrêter plusieurs fois pour observer et écouter les commentaires de notre guide. Je vais d’ailleurs lui donner la parole (en italique) à partir du topo qu’il m’a aimablement fourni .

 

Aqueduc arasé 1er arrêt

Chemin des vestiges romains

C’est la première apparition de la canalisation, arasée mais bien visible, qui coupe le sentier. Un endroit significatif, pour plusieurs raisons :

  • c’est là que les premiers ouvrages d’art apparaissent (en amont on n’a guère que le pont de Bornègre).
  • c’est à peu près là que les concrétions apparaissent (pas de concrétions dans les premiers kms car dans le noir la calcification ne se produit pas tout de suite).
  • c’est là que l’aqueduc amorce son virage à 90°. Il prend d’abord la direction Est-Sud-est afin de contourner le massif des garrigues, qui culmine autour de 200 m. Pour arriver à Nîmes il prend la direction Ouest-Sud-ouest). Il faut bien qu’il fasse un virage à 90°.
  • c’est là que la pente devient moins forte. La source d’Eure étant à 71 m, le castellum à 59 m, la dénivelée fait 12 m, la pente est donc de 24 cm par km (record du monde romain, la plupart des aqueducs ayant plus d’1 m de pente par km). Mais ces 24 cm sont une moyenne : en amont du Pont du Gard on a 38 cm avec des pointes à 60 cm, en aval on a 18 cm avec des pointes à 9 cm (effet de « chasse d’eau », pour Jean-Pierre Beaumont).

 

 

La première concrétion

Les arcades de la lône

Nous nous arrêtons surpris par un énorme rocher, c’est une concrétion. C’est un bloc de carbonate de calcium, résultant d’une fuite. Le canal a beaucoup fui dans son histoire, soit par malfaçon du radier, soit suite à des mouvements sismiques, soit par des « piquages » illicites pour pratiquer l’irrigation. Ici on voit quatre empreintes négatives des madriers qui soutenaient une dérivation rudimentaire en bois.

Arrêt devant cinq arches dont le tympan est colmaté par un mur de pierres en petit appareil. Dans un premier temps les Romains ont choisi d’installer leur canalisation sur des arches et non des murs pleins. L’arche demande davantage de technique (cintre en bois, équilibre, calcul des poussées, etc) mais elle économise la pierre et permet le passage du vent, de l’eau, des hommes et des animaux. Dans un second temps ils ont dû colmater les arches, soit pour les consolider après un mouvement sismique, soit pour colmater des fuites.

Arrêt devant des arches non colmatées mais présentant des traces de suintements sous la canalisation. En effet le cuvelage avait des problèmes d’étanchéité : alors que les parois latérales (murs bajoyers ou piédroits) étaient recouvertes d’un enduit composé de mortier de chaux et de tuileaux concassés qui leur donnait une bonne étanchéité, le radier (le sol) était recouvert d’un béton composé de mortier de chaux et de calcaire concassé. Ce dernier était très dur, très compact, mais pouvait se fissurer. C’est une anomalie inexpliquée qu’on ne retrouve pas ailleurs dans le monde romain.

Arche colmatée

Arrêt devant des arches colmatées en petit appareil, mais là le colmatage n’est pas plein mais composé de deux murs de soutènement laissant un vide entre les deux. Cela signifie que le but n’était pas de colmater des fuites, comme précédemment, mais de soutenir les arches. On aperçoit un joli « trou d’homme » à l’intérieur, qui a permis au dernier maçon de s’échapper et qu’il a rebouché ensuite.

Arrêt devant un petit bout de canalisation encore visible. La hauteur de celle-ci permet mieux de se rendre compte des proportions de l’ouvrage initial. Que ce soit en semi-enterrée ou en aérien, la canalisation est toujours sur le même modèle : 1,30 m de haut, 1,30 m de large, un enduit latéral de 5 cm (on en voit encore un morceau), une voûte jointoyée de 60 cm au-dessus de l’enduit. L’eau avait une hauteur d’environ 72 cm, ce qui assurait normalement 35 000 m3 par jour aux Nîmois. Elle mettait entre 24 et 40 heures pour parvenir au castellum.

Arrêt devant le socle d’une culée en très grand appareil. Les blocs gigantesques sont liés entre eux par des tenons (ou goujons) insérés dans les mortaises pratiquées dans les pierres. Les tenons étaient soit en plomb, auquel cas on les a volés, soit en bois, auquel cas ils ont pourri.

 

Base du pont de Font-Ménestière

Pont de Font-Ménestière

Nous ne pouvons que l’imaginer avec ses 6 grandes arches et ses 12 petites (supposées).
Arrivée devant l’emplacement du pont de Font-Ménestière, là où passent la route et la voie ferrée. Alors que ce pont faisait 24 m de haut et 360 m de long, il n’en reste rien. A signaler que la totalité des ouvrages aériens étaient à un étage, sauf deux qui possédaient deux étages (celui-ci et celui de la Combe Roussière), et le Pont du Gard bien sûr.

Après la traversée de la route, on retrouve la base des culées, puis les arches. A partir de là, on a choisi récemment de « fossiliser » ce qui reste de l’aqueduc en cimentant les pierres. On voit aussi des piliers en pierre, de facture récente, qui datent de 1985 et qui soutiennent les arches fragilisées.

Arrêt devant un nouveau morceau de la canalisation, suspendu à grande hauteur et formant un coude. Là encore on aperçoit l’enduit, de couleur rougeâtre. Ce n’est pas seulement le mortier de tuileau qui lui donne cet aspect mais un pigment composé entre autres de sève de figuier, de lie de vin et d’oxydes de fer, le malthae. On ne sait toujours pas bien à quoi pouvait servir ce pigment.

 

Le pont-roupt

Le Pont-Roupt

Plus loin on arrive au Pont-Roupt (rompu), symbole le plus connu des désordres sismiques : c’est une arche énorme dont il ne reste que la moitié, suspendue dans le vide. A partir de là on trouve des restes d’aqueduc qui ont tous basculé vers l’ouest, peut-être signe d’un épicentre situé à l’ouest.

On observe d’énormes blocs de concrétions dues à des fuites, soit naturelles, soit provoquées par des piquages. Certains blocs sont évalués à 70 tonnes.

 

Les arcades de Valive

Arcades de Valive

On parvient aux arches de Valive. Comme elles sont moins spectaculaires que les autres. C’est l’occasion d’évoquer le chantier de construction de l’aqueduc et la personnalité de son commanditaire :

  • la durée estimée du chantier (15 ans, dont cinq pour le seul Pont du Gard),
  • les techniques utilisées par l’ingénieur en chef (le librator) pour respecter les directions et les pentes. Trois instruments décrits par Vitruve ont probablement été utilisés ici : la groma, la dioptra et le chorobate. Ils combinent les propriétés de l’équerre, du fil à plomb et du niveau à eau. Le chorobate notamment, grande table de six m de long, munie de fils à plomb, d’une gouttière remplie d’eau et de deux œilletons de visée, était déplacé tout au long du parcours,

 

  • la datation du chantier, commencé sous l’empereur Claude (41-54) et achevé sous Néron (54-68). Alors qu’on a longtemps daté l’aqueduc d’Auguste et de son gendre Agrippa, les pièces et tessons trouvés dans le secteur de la Lône permettent de dire que l’aqueduc a été créé environ 50 ans après la Maison carrée et 50 ans avant l’amphithéâtre,
  • la durée de fonctionnement de l’aqueduc. Certains pensent qu’il a été en service jusqu’au 5ème siècle (chute de l’Empire romain, 476), d’autres pensent qu’il a survécu jusqu’au 6ème siècle. Le Gardon séparant les Francs au nord (Uzès) et les Wisigoths au sud (Nîmes), les Francs auraient alors coupé le robinet…
  • la personnalité de Claude, né en Gaule (Lyon), favorisant l’entrée de sénateurs gallo-romains au Sénat, nommant un Nîmois, Domitius Afer, comme curateur des eaux de Rome (responsable des neuf aqueducs de la ville). Ces éléments ont sans doute un lien avec notre aqueduc. Pour l’anecdote Claude était peu doué pour se choisir une épouse : Messaline, cruelle et dévoyée, qui profite d’une absence de Claude pour se marier avec un amant, puis Agrippine, du même genre, qui empoisonne Claude avec des champignons pour le remplacer par son fils Néron, issu d’un précédent mariage.

 

Le Pont du Gard

Le Pont du Gard

Arrivée au point de vue de la rive gauche sur le Pont du Gard. Quelques remarques :

> la canalisation culmine à près de 49 m, record du monde romain,
> le dernier niveau est en petit appareil, contrairement aux deux premiers qui sont en grand appareil,
> à l’origine on comptait 47 arches, 12 ont disparu côté rive gauche, il en reste 35,
> la couverture est formée de grandes dalles de 3,10 m, alors que partout ailleurs c’était une voûte en plein cintre. C’est une précaution, le poids des dalles exerçant une poussée verticale, de haut en bas, alors qu’une voûte exerce une poussée latérale qui se serait conjuguée avec la poussée de l’eau,
> à l’origine les dalles reposaient sur un lit de pierres en moyen appareil, mais la canalisation a souvent débordé, comme l’indiquent les concrétions encore visibles. C’est pourquoi on a surélevé les dalles sur un deuxième rang de pierres en moyen appareil,
> enfin toutes les petites arches font 4,80 m de large, par souci esthétique. Pourtant quatre d’entre elles surmontent la grande arche, qui fait 24,50 m de large, tandis que les autres arches, qui font 19,20 m, sont surmontées de trois petites arches. Le rapport mathématique n’étant pas tout à fait égal à 4/3, les Romains ont « triché » en jouant sur la largeur des petites piles du troisième niveau.

 

Le Pont Pitot

Traversée du pont routier, le pont Pitot, construit à partir de 1743. Pitot, natif d’Aramon, physicien, disciple de Réaumur, inventeur de la célèbre sonde Pitot qui sert à mesurer la vitesse des fluides, a travaillé aussi pour les États du Languedoc qui lui ont confié la construction du pont routier qui sera utilisé jusqu’à la fin du 20ème siècle.

 

Sur le pont Pitot à observer les chiffres gravés

Gravures et échancrures

Arrêt sur le pont pour observer les traces gravées par les compagnons sur le parapet, dont certaines très anciennes, et les chiffres romains sur les pierres, de 1 à 10, ce qui indique que le travail était préparé en amont. Évocation des échancrures pratiquées au 14ème siècle à la base des piles du deuxième niveau, côté amont, sur un bon tiers des piles. Cet « attentat », qui aurait pu provoquer l’effondrement de l’édifice, autorisait le passage des mulets et même des charrettes et permettait d’aller de Nîmes à Avignon sans faire le grand détour par le pont Saint-Nicolas. On peut les observer sur une gravure de 1560. Elles ont été rebouchées en 1702.

Observation du fameux lièvre du Pont du Gard, en réalité un phallus, les Romains utilisant souvent ce moyen pour conjurer le mauvais œil. Légende du lièvre, racontée par Annie, un peu plus tard pendant la pause-goûter…

Observation de la plaque dédiée aux architectes restaurateurs du 19ème siècle : Questel, sous Louis-Philippe, et surtout Laisné, sous Napoléon III, ont réalisé un travail de restauration colossal en remplaçant de nombreux claveaux (= voussoirs = pierres). Comme ils les ont pris aussi dans la carrière de l’Estel, 600 m en contrebas, on ne devine pas qu’ils n’ont que 200 ans. Les autres claveaux, non remplacés, souffrent parfois de « taffonisation » par érosion éolienne.

Montée vers la sortie de la canalisation, rive droite. En passant sous la dernière arche du deuxième niveau on voit clairement que le pont présente une forte convexité vers l’amont de la rivière alors que les piles et les avant-becs sont parfaitement alignés. Cette déformation, difficile à expliquer, serait due à l’exposition du pont au soleil, côté amont.

Au sortir de la canalisation on observe un mur latéral en coupe : d’abord les 5 cm de l’enduit de tuileau, puis environ 40 cm de concrétions. Les 25 premiers cm sont en calcite dure, très pure, signe que l’eau était de bonne qualité, tandis que les 15 derniers cm sont terrigènes, signe que le canal était mal entretenu. Cela correspond en gros aux hypothèses sur un abandon progressif de l’entretien de l’aqueduc à partir du 4ème siècle.

 

Le tunnel du Pouzin

Le tunnel du Pouzin

Le tunnel du Pouzin, percé à partir de 1863, n’a rien à voir avec les Romains. Au 19ème siècle, Nîmes a besoin d’eau pour ses industries (textiles en particulier). On prévoit de capter de l’eau du Rhône au Pouzin en Ardèche, d’amener l’eau dans une canalisation en fonte de 2,80 m de diamètre, d’utiliser le Pont du Gard pour supporter la canalisation et de forer ensuite des tunnels. Le projet, pourtant porté par des notables nîmois, est abandonné faute d’argent et remplacé par un captage au niveau de Comps, l’eau parvenant à Nîmes grâce à des machines à vapeur. Nous suivons une tranchée dans le prolongement du tunnel et parvenons à un autre tunnel, voûté, profond et mystérieux, qui allait vers Saint-Bonnet.

 

 

Retour

Goûter près de la maquette de Mémoires de garrigue

Nous retraversons le pont et nous repartons en direction de Vers en passant par « Mémoires de garrigue » où nous nous arrêtons pour une pause-goûter bien venue. Délicieux gâteau à la banane de Martine, petits biscuits, jus de pommes et sirop de thym, grand merci à nos guides. Ce fut un moment d’échange où Gilles a poursuivi ses explications et où j’ai raconté brièvement la légende du lièvre du Pont du Gard de Frédéric Mistral.
Rejoignant la grosse concrétion en forme de grotte du Pont-Roupt, nous sommes revenus par le joli sentier fleuri qui longe l’aqueduc par la droite.
Ce fut une bien belle promenade très instructive avec des commentaires clairs et précis sous le signe de la romanité. Un thème récurent dans nos sorties et que nous pouvons prolonger par la sortie à Ambrussum le 12 avril.

 

Pour aller plus loin

 

Quelques photos de la visite

 

Share

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.