
Visite de chapelles et églises romanes provençales sur le parcours « l’Art roman en terre de Provence » : Barbentane, Abbaye de Frigolet, Boulbon, Eyrargues, … Journée ponctuée d’une pause au restaurant ou d’un pique-nique.
Sortie organisée par Françoise J. et Annie avec pour guide Martine Lafon (qui nous a déjà fait visiter St-Rémy-de-Provence).
RV à 9h à la salle polyvalente d’Arpaillargues et Aureilhac pour covoiturage

« Pour passer le Rhône il faut être deux, pour bien le passer, il faut savoir danser, allons passe, passe, passe, allons passe donc… » (ronde enfantine). C’est ainsi qu’un groupe de 11 fidèles zébriniens, amateurs d’Arts et de Patrimoine, danseurs ou pas, a décidé de s’aventurer de l’autre côté du Rhône, en terre de Provence sur un parcours de chapelles et d’églises romanes, préparé et guidé par notre amie Martine Lafon.
Notre guide
Martine Lafon est artiste plasticienne et fine connaisseuse d’arts et de patrimoine. Elle nous a déjà guidé à Saint-Rémy-de-Provence et virtuellement sur le Sentier des Lauzes. Elle a bien voulu reprendre son rôle de conférencière, comme à Uzès et à La Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon, pour nous emmener à la découverte de petits trésors du patrimoine provençal. De Barbentane, où elle s’est installée, à Eyragues, en passant par Boulbon et Frigolet, nous nous sommes plongés dans l’art roman tout en découvrant de beaux villages provençaux.
L’Art roman provençal
Si on reprend la courte définition de l’Art roman du compte rendu sur les Églises romanes de l’Uzège, on peut dire que cet art prospère en Europe du 10e au 12e siècle et qu’il se caractérise par un aspect massif des édifices religieux et une grande sobriété des lignes. En Provence il se caractérise par l’importante influence de l’Antiquité romaine en raison des nombreux vestiges romains y subsistant et par le peu d’influence du style roman Lombard, au contraire du Languedoc. On y voit des voûtes en berceaux, des porches à l’antique, des pilastres, des colonnes cannelées, des frises… et des nefs uniques.
Barbentane
Passé la porte du Séquier, un des restes du rempart, près de la Tour Anglica du 14e siècle, nous entrons dans le centre médiéval de la petite ville qui compte aujourd’hui plus de 4000 habitants. Martine, qui privilégie le rouge dans son travail, précise que le quartier que nous traversons est celui des italiens venus arracher la garance tinctoriale pour la couleur rouge tirée de ses racines, une culture et un artisanat important à Barbentane. A proximité, voici l’église romane qui fait face à la Maison des Chevaliers, demeure seigneuriale du 12e s., au milieu du centre fortifié, proche du puits médiéval creusé dans le rocher.
L’Église Notre-Dame-des-grâces
Voici le texte préparatoire (en italique) de Martine qui présente cette belle église dont une chapelle possède un curieux lanterneau.
C’est au départ une église romane à nef unique donc sans collatéraux et sans transept, voûtée en berceau et construite en 1178 à l’intérieur de l’enceinte fortifiée pour la Dame du castrum par Guillaume de Barbentane. Elle garde cette configuration au XIIIème s., typique du gothique primitif méridional. Agrandie en 1324 de deux travées gothiques et d’une abside par le cardinal Anglic de Grimoard, frère du pape Urbain V. C’est lui fit construire la Tour Anglica (1364-65), tour de surveillance, défense avancée pour la cité papale d’Avignon.
En 1407, elle est consacrée sous le vocable Notre-Dame-des-Grâces.
Des chapelles seront rajoutées,
– au XIVème chapelle Saint Jean ou de la Vierge
– au XVème la chapelle Sainte Croix en 1400, surmontée du clocher entre 1486 et 1492 et de sa flèche, celle-ci est abattue à coup de boulets en 1794 selon le souhait des Barbentanais ( 2 des 3 cloches sont fondues à Marseille pour les besoins de défense militaires). La flèche est reconstruite en 1983 toujours selon le vœu des Barbentanais.
– au XVIème la chapelle Neuve ou Saint Joseph (1560)
– au XVIIème la chapelle Mondragon surmontée d’un lanternon vitré (1658)
– au XIXème la chapelle du Midi en 1867-68 avec nef et abside dans un style néo-gothique par l’architecte marseillais Caramagnole
Le porche date du XVème et fait presque narthex à la fonction sociale et les petites réunions mais aussi pour les catéchumènes : katêkhéô, « faire retentir aux oreilles », d’où « instruire de vive voix » . Classée MH en 1921.
Boulbon
La chapelle Saint-Julien-l’hospitalier
Nous poursuivons notre parcours par une petite route qui traverse la Montagnette. Les traces de l’incendie de 2022 sont toujours visibles. Les arbres brûlés hérissent les collines mais fort heureusement les plantes basses ont repris, le vert s’étend peu à peu sur le sol rocailleux mis à nu. Quelques zones de ce grand plateau ont étés préservées comme celle autour de Boulbon et de la petite chapelle Saint-Julien-l’hospitalier, un édifice de pur art roman, que nous ont présenté deux membres passionnés de l’association locale chargés de l’entretien et de la restauration, qui par chance s’y trouvaient.
Située sur la commune de Boulbon, elle date du XIIème s. et a été classée MH en 1941 et restaurée en 1990. Nef unique, chevet pentagonal. La couverture en ardoise de la chapelle et celle en pierre de son abside sont soutenues par des modillons.
A l’intérieur le doubleau de l’arc triomphal est soutenu par des avant-corps de taureaux
La chapelle Saint-Marcellin de Boulbon
Nous entrons dans le village surmonté de son château féodal et découvrons là aussi une chapelle de pur style roman du 11e avec bien sûr quelques transformations aux siècles suivants. S’y trouve un arc polylobé et dans la chapelle nord consacrée à Saint Georges, le tombeau d’Archimbaud seigneur de Boulbon. Le gisant porte l’armure et le sous-bassement présente une grande frise de pleureuses aux expressions touchantes. Nous y sommes accueillis par un membre de l’association des amis du vieux Boulbon qui nous a présenté sa chapelle et nous a raconté une tradition bien curieuse : la Fête des bouteilles du 1er juin, exclusivement réservée aux hommes ! Chaque homme y vient muni d’une bouteille de vin qui sera bénie et qui pourra guérir des fièvres de ce lieu autrefois marécageux ou bien encore obtenir la pluie !
L’église comptait autrefois un rare retable qui est aujourd’hui au Louvre, il en reste une copie : une œuvre anonyme du 15e, peut-être d’Enguerand Quarton. C’est « une œuvre intense, énigmatique de silence et d’austérité » qui représente la Sainte Trinité.
Le Café du commerce
Pour la pause de midi, nous n’avons pas pu déjeuner au restaurant de l’Abbaye de Frigolet, la cuisinière acariâtre ayant fait fuir Martine ! Fort heureusement le vieux café du commerce de Boulbon avec sa verrière et son allée de majestueux platanes nous a accueillis dignement avec une cuisine locale et gouteuse.
L’Abbaye Saint-Michel de Frigolet
Cette vaste abbaye posée au cœur de la Montagnette, toute entourée d’arbres préservés et de rochers, émerge comme un décor de film avec ses clochers du 19e siècle. Elle est pourtant fort ancienne avec un passé mouvementée. Martine en a fait un bon résumé :
L’église Saint-Michel romane est du XIIème s., elle est très restaurée au XIXème. Les premières constructions sont élaborées : cloître, église romane et chapelle Notre-Dame dès 1155 sur confirmation papale (le pape Adrien IV à Rome bien sûr) mais au début du XIVème siècle, elle est tout naturellement rattachée par le pape Jean XXII à la cathédrale ND des Doms comme la communauté de ses chanoines suivant la règle de Saint Augustin. Du coup le pape déloge les chanoines pour grossir les bancs (c’est-à-dire les stalles) d’Avignon. L’abbaye est ainsi délaissée jusqu’au XVIIème siècle, moment où des religieux augustins reviennent et des religieux hiéronymites (Pères de Saint Jérôme) faisant ensemble revivre le prieuré jusqu’à la Révolution française. C’est durant cette période que la chapelle est richement décorée. Le style est baroque avec ses colonnes torses. Elle est baptisée ND de Bon remède en 1674 réalisant le miracle de la naissance du roi Louis XIV.
Elle possédait une importante bibliothèque qui brûla en 1788.
Devenu bien national à la Révolution, on y installe un collège où viendra étudier le jeune Frédéric Mistral de 1839 à 1841. En 1858 les bâtiments sont rachetés par Edmond Boulbon, un religieux trappiste du diocèse d’Aix qui devient Prémontré, un ordre fondé par Saint Norbert qui restaure l’ordre après sa dissolution à la Révolution. Il rétablie une communauté et commence le grand chantier de construction de l’ensemble architectural actuel. Et en 1869 la pape Pie IX élève ce qui était jusque là le prieuré en abbaye et par bulle papale accorde le couronnement de la statue de Notre-Dame du Bon Remède puis de celle de Saint Joseph. Edmond Boulbon devient le premier abbé de l’abbaye.
La basilique de l’Immaculée conception de style néo-gothique est consacrée en 1866. L’intérieur est entièrement peint par Antoine Sublet, peintre muraliste lyonnais qui a beaucoup travaillé pour l’ordre des Chartreux en Angleterre et en France, entre autres à La Grande Chartreuse près de Grenoble. Fortement marqué par la restauration de la polychromie architecturale de la Sainte chapelle à Paris.
L’abbaye est classée en 1921 pour le cloître et la chapelle, puis en 1995 pour presque l’ensemble des bâtiments, enfin la totalité de l’église abbatiale en juin 2015.
Aujourd’hui l’abbaye abrite cinq moines Prémontrés.
L’élixir du Père Gaucher
Alphonse Daudet avec ses « Lettres de mon moulin« a rendu célèbre l’abbaye et sa liqueur. Vous vous souvenez peut-être de « L’élixir du Père Gaucher« , ce brave moine qui pour sauver la communauté de la ruine, a concocté une liqueur « verte, dorée, chaude, étincelante, exquise » au mépris de son salut. En voici un petit extrait, que j’avais préparé.
Le jour, encore, tout allait bien. Le Père était assez calme : il préparait ses réchauds, ses alambics, triait soigneusement ses herbes, toutes herbes de Provence, fines, grises, dentelées, brûlées de parfums et de soleil. Mais, le soir, quand les simples étaient infusés et que l’élixir tiédissait dans de grandes bassines de cuivre rouge, le martyre du pauvre homme commençait.
— … Dix-sept… dix-huit… dix-neuf…vingt !…
Les gouttes tombaient du chalumeau dans le gobelet de vermeil. Ces vingt-là, le père les avalait d’un trait, presque sans plaisir. Il n’y avait que la vingt et unième qui lui faisait envie. Oh ! cette vingt et unième goutte ! Alors, pour échapper à la tentation, il allait s’agenouiller tout au bout du laboratoire et s’abîmait dans ses patenôtres. Mais de la liqueur encore chaude il montait une petite fumée toute chargée d’aromates, qui venait rôder autour de lui et, bon gré mal gré, le ramenait vers les bassines… La liqueur était d’un beau vert doré… Penché dessus, les narines ouvertes, le père la remuait tout doucement avec son chalumeau, et dans les petites paillettes étincelantes que roulait le flot d’émeraude, il lui semblait voir les yeux de tante Bégon qui riaient et pétillaient en le regardant…
— Allons ! encore une goutte !
Et de goutte en goutte, l’infortuné finissait par avoir son gobelet plein jusqu’au bord. Alors, à bout de forces, il se laissait tomber dans un grand fauteuil, et, le corps abandonné, la paupière à demi close, il dégustait son péché par petits coups, en se disant tout bas avec un remords délicieux :
Ah ! je me damne… je me damne…
Vous pouvez trouver l’histoire sur internet (ou ci-dessous) , ainsi que le film de Marcel Pagnol.
Le contraste entre l’église romane dépouillée et le foisonnement de couleurs de la basilique est saisissant. Les yeux pleins de couleurs nous avons continué notre parcours sans oublier de passer devant la crèche provençale qui évoquait justement « Les lettres de mon moulin ».
Eyragues
Nous poursuivons notre route jusqu’au gros village d’Eyragues où Geneviève, membre de l’association patrimoine, encore une passionnée, nous a présenté, en duo avec Martine, l’église romane.
L’Église Saint-Maxime
Une église du 11e et 12e siècle qui nous réserve quelques belles surprises.
La nef romane, longue de trois travées, est voutée en berceau brisé. Sur la « poutre de gloire », arc séparant la nef du chœur, on peut observer les restes d’anciennes peintures murales en partie dorées, ce sont peut-être les initiales de différents papes, avec les différents grades ecclésiastiques.
L’abside, pentagonale à l’extérieur et en cul de four à l’intérieur, présente une jolie voûte ogivale nervurée, sur trompes, décorée de mascarons.
Entre les XIII° et XIV° siècles, l’édifice est transformé en église fortifiée, avec un chemin de ronde crénelé et des contreforts de style gothique.
Le clocher carré (XVII°), coiffé d’un toit pyramidal cerné de balustres, laisse voir ses cloches par 4 baies en plein cintre. C’est un clocher à crochets, que nous reconnaitrons bien à présent avec ces bourgeons de plantes en crochets. Le bas-côté nord et l’abside, sur voutes nervurées, sont de style gothique. A droite du chevet, on a pu remarquer la présence de deux beaux autels de style Renaissance. La chapelle latérale, de style Renaissance aussi, à droite du chœur, est la chapelle du Christ. On y pénètre par un portique à l’antique. L’élément le plus remarquable est sans doute le plafond à caissons décoré de fleurons, identiques au premier coup d’œil mais en réalité tous singuliers : magnifique ! On peut y admirer également une grande toile classique du Christ en croix très sombre.
De l’autre côté de l’église, se trouve la statue-reliquaire de Saint Éloi. Geneviève a insisté sur la Fête de la Saint Éloi très populaire dans toute la Provence. Une carreto ramado, (charrette ramée) décorée de branches et de fleurs en papier est tirée par de nombreux chevaux (jusqu’à 45) arnachés à la sarrasine, c’est à dire porteurs de fleurs de pompons, de broderies… et suivi de groupes folkloriques et de belles dames vêtues du costume provençal traditionnel. Bref c’est une belle fête provençale qu’il faut aller voir le dernier dimanche de juin à Eyragues mais aussi tout au long du mois de juin à Barbentane, Boulbon ou ailleurs.
La chapelle Notre-Dame-du-Pieux-zèle
Curieux nom pour cette chapelle romane du 11e siècle que nous ne verrons que de l’extérieur. Son nom primitif était Notre Dame de Piucella (pucelle) changé pour respecter « les bonnes mœurs » au 18e. L’abside romane est fermée en cul-de-four avec toiture en dalles de pierre. Un sarcophage antique est réemployé au tympan. Les bas-reliefs qui y sont sculptés représentent Adam, Ève, le serpent et l’arbre de vie. Ils sont superbes de naïve poésie.
Cette jolie chapelle, à l’écart dans un jardin, a bien clôturé cette approche du roman provençal. Tous les zébriniens ont chaleureusement remercié Martine qui a organisé cette belle journée. Son érudition, son sens esthétique et sa gentillesse ont comblé toutes nos attentes et, même si la météo clémente et bien venteuse nous a éprouvés, nous sommes tous repartis bien satisfaits, plus riches de découvertes architecturales, patrimoniales et d’échanges amicaux.
Pour aller plus loin
- L’Élixir du père gaucher, Lettres de mon moulin Alphonse Daudet
- La commune de Barbentane
- Circuit Art roman en terre de Provence
Quelques photos de la visite
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